Inspiré par l’actualité et la tentative en cours de Veolia de racheter son concurrent Suez, je vous propose une réflexion en contrepoint sur les stratégies de croissance. Certes, elle a des avantages, mais non, la taille ne fait pas tout. Il y a d’autres options pour construire une position distinctive.
Taille ou avantage relatif ?
Les impacts positifs de la croissance sur la performance sont bien connus et décrits, voici les trois principaux:
- en fabricant plus de produits ou en réalisant plus de service, l’entreprise bénéficie d’effets d’expérience. Plus elle produit, plus elle est expérimentée, mieux elle réalise ses activités (moins d’erreurs, plus de productivité) et plus ses coûts sont bas
- plus l’entreprise grossit, plus elle bénéficie d’un rapport de force favorable auprès de ses clients ou de ses fournisseurs, ce qui lui permet d’obtenir (ou d’imposer) des conditions commerciales à son avantage
- plus l’entreprise est grande, plus son attractivité est importante et plus elle a de chance d’attirer les ressources les plus critiques (par exemple les talents)
Ainsi, il ne s’agit pas seulement de croitre pour grossir, mais croître pour renforcer son avantage concurrentiel. Revenons sur trois points importants:
- l’avantage concurrentiel est par nature une notion relative. Il s’agit de faire mieux que les concurrents, pas mieux que l’année dernière, ou mieux que ce que l’on prévoyait. Ainsi, croître de 10% quand le marché croît de 15% est le signe d’une diminution de l’avantage concurrentiel.
- grossir sans déclencher de nouveaux effets d’expérience a un impact limité sur la performance. Si l’on garde en tête la notion de la relativité de l’avantage, échouer sur les effets d’expérience peut même constituer une diminution de l’avantage concurentiel si dans le même temps les concurrents déclenchent des effets d’expérience plus forts grâce à leur croissance
- grossir sans améliorer son rapport de force auprès de ses clients ou fournisseurs peut constituer aussi une dilution. Passer d’un statut de “petit” client à client “intermédiaire” chez un fournisseur peut même parfois se révéler défavorable
Plus que la taille, c’est le périmètre du leadership qui importe
La question ne se pose donc pas en termes de choix entre croître et ne pas croître mais en termes de choix de périmètre de leadership. En effet, dans les vertus que nous avons soulignées plus haut, une notion apparaît en filigrane, celle du leadership concurrentiel. Par exemple, c’est le leader en volume d’un marché qui dispose des effets d’expérience les plus importants par rapport à ses concurrents, et ce même s’il ne croît pas en volume.
Cela signifie donc que la question préalable à toute réflexion sur la croissance est celle du périmètre du leadership (actuel et envisagé). Sur quels marchés est-on ou souhaite-t-on être leader ? Une fois ce périmètre défini, plusieurs options non exclusives s’ouvrent:
- réduire le périmètre en se séparant des activités périphériques, qui ne contribuent pas à déclencher les vertus de la croissance que nous avons évoquées plus haut
- investir dans des activités existantes pour renforcer l’avantage concurrentiel (gagner en volume pour gagner en expérience par exemple)
- investir dans des activités nouvelles qui mobilisent des avantages concurrentiels existants (par exemple déployer une technologie ou un savoir faire particulier sur de nouveaux marchés)
Danone est un exemple emblématique de cette logique. En 30 ans le groupe a successivement : vendu les activités d’emballage pour se concentrer sur l’agro alimentaire, concentré ses ressources sur 3 métiers agroalimentaires en se séparant à nouveau d’activités (en en réalisant des acquisitions), puis construit un positionnement à l’intersection de la santé et de l’alimentation.
Et se concentrer sur une niche?
Les stratégies de niches présentent un paradoxe : il ne faut pas qu’elle deviennent trop grosses en volume pour rester intéressantes pour les entreprises qui y sont positionnées.
Une niche est une portion faible du marché de référence en volume. Les palaces, les voitures à plus de 500 000 euros, les vêtements conçus pour les femmes enceintes, en sont quelques exemples. Elles sont très nombreuses dans le domaine industriel. Les acteurs présents sur cette niche sont de taille réduite et si la concurrence peut être grande entre eux, ils sont protégés des plus gros acteurs du marché par la taille réduite du marché en volume.
Si la niche devient trop importante en volume, elle devient attractive pour les acteurs plus gros qui pourraient voir un intérêt à venir conquérir une position. La lutte serait difficile pour les acteurs en place, les gros acteurs bénéficiant de ressources plus importantes et d’effets de performance plus forts liés à leur taille.
On pourrait donc conclure que pour les entreprises agissant sur une niche, l’incitation est plutôt à ne pas croître pour ne pas fragiliser sa position.
Trois questions à vous poser
En conclusion, je vous propose 3 questions pour tracer votre voie :
- Quel est le périmètre de mon leadership ? Il s’agit souvent d’une combinaison offre/client/territoire. Soyez exigeant dans cette évaluation, le leader ici est celui qui produit le plus. C’est votre point de départ pour identifier votre stratégie de croissance.
- Quel est mon avantage concurrentiel ? Souvenez-vous que l’avantage est relatif : qu’avez-vous que les autres n’ont pas, que faites-vous mieux que les autres ? Il peut s’agir de la taille, d’une technologie, d’une expertise, d’une ressoure, …
- Comment faire évoluer mon périmètre pour renforcer mon avantage ? Quelles activités réduire ou céder pour disposer de ressources ? Quels projets de croissance pour accentuer l’effet de mon avantage ou le déployer sur de nouveaux marchés ?