Difficile de résister aux impératifs du changement mais pour une fois, je vous propose un contrepoint pour construire un mouvement distinctif : ne pas regarder ce qui change mais regarder ce qui demeure et ce que l’on a.
En stratégie, comme dans tous les bons westerns, le “monde se divise en deux catégories” : ceux qui analysent l’environnement pour s’y conformer et ceux qui veulent le faire évoluer.
En stratégie, contrairement aux bons westerns, les deux approches sont payantes.
Comprendre les facteurs clés de succès d’un marché, identifier des points d’inflexion dans les habitudes de consommation est à l’évidence une pratique utile, nécessaire. Cependant elle comporte deux écueils :
- elle conduit à reproduire des diagnostics et des constats faits par tous les autres acteurs d’un secteur, elle réduit donc la singularité, la distinction
- quand l’environnement bouge trop vite, s’y conformer est très risqué. Prendre des options qui engagent une partie importante des ressources alors que la situation peut changer encore n’est pas optimal.
Une autre approche, complémentaire, est utile :
- regarder ce qui demeure, ce qui ne change pas
- regarder ce que l’on a, identifier ses ressources distinctives
Regarder ce qui demeure
Lors d’une interview, un journaliste a demandé à Jeff Bezos quelles étaient les tendances d’évolution des comportements du consommateur qu’il prévoyait dans les années à venir. Sa réponse a certainement frustré son interlocuteur :
“ je préfère regarder ce qui ne changera pas. Les consommateurs voudront toujours des prix attractifs et une livraison rapide. C’est là-dessus que nous nous concentrons.”
Cette pratique, identifier les points de stabilité, est parfois difficile à réaliser dans un environnement décrit à longueur de journées et de commentaires comme turbulent, disrupté, volatile, … Ces descriptions s’accompagnent souvent d’impératifs à la transformation, à l’évolution et à l’innovation. Résister au chant des sirènes du changement est difficile. Comment oser revendiquer et assumer que l’on ne regarde pas ce qui change pour s’adapter ?
Pourtant dans une situation de changement fort ou brutal, la sagesse serait justement de se détacher du tourbillon et de se concentrer sur ce qui ne bouge pas, sur les éléments stables sur lesquels on peut bâtir.
Regarger ce que l’on a : identifier ses ressources distinctives
C’est un argument similaire qui fonde l’approche sur les ressources en stratégie. Dans cette approche, l’avantage concurrentiel se construit avant tout par la maîtrise de ressources et de compétences distinctives.
Qu’elles soient financières (capital, free cash flow, …), physiques (des usines de production, un réseau de distribution, …), humaines (des talents, de l’engagement, …), ou immatérielles (des brevets, une marque, …), disposer de ressources que les autres n’ont pas ou en disposer plus que les autres, constitue un avantage. De la même façon, réaliser mieux que les autres certaines activités ou processus (la conception, la relation client, …) constitue aussi un avantage.
Dès lors, lorsque l’environnement évolue, se concentrer sur ses ressources distinctives peut constituer une stratégie payante. Comment identifier ses ressources distinctives ? Les chercheurs qui ont établi cette théorie avancent 4 critères, qui, pris ensemble, permettent de vérifier si une ressource ou compétence peut être source d’avantage concurrentiel durable:
- Valeur : elle a un impact direct et clair sur la création de valeur (soit sur les coûts, soit sur les revenus)
- Rareté : elle n’est pas accessible ou détenue par les concurrents
- Inimitable : un concurrent peut difficilement la copier
- Soutenue : l’organisation est capable de l’exploiter pleinement
Dès lors, lorsque l’environnement évolue, identifier ces ressources distinctives peut permettre de construire une voie singulière :
- Se concentrer sur les segments de marché où les ressources et compétences ont le plus d’impact. C’est ce qu’a fait Virgin America dans les années 2000 en se concentrant sur les vols longs courrier, où son offre était différenciante.
- Répliquer sur d’autres territoires. C’est la stratégie de l’activité de parcs de loisirs de Disney avec l’ouverture de lieux à Tokyo, Paris, Hong Kong, Shanghai.
- Se positionner sur de nouveaux marchés. Fuji Film est entré sur le marché des cosmétiques en expoitant ses capacités dans le collagène et les nanotechnologies.
Plus récemment, la crise sanitaire et économique nous a offert de nombreux exemples de réactions similaires :
- les industriels (LVMH, L’Oréal, Valeo, Airbus, …) qui mobilisent leur appareil productif pour fabriquer des masques, gels et respirateurs
- certains restaurateurs qui ont utilisé leur lieu pour y faire des expositions, espace de vente temporaire pour combler le manque à gagner lié à la distanciation physique imposée
En synthèse : regarder ce qui demeure et ce que l’on a constitue un point de départ utile pour construire une stratégie distinctive. Le risque de se tromper est plus faible et l’efficacité est plus grande. Le principal écueil à éviter est de se tromper dans l’évaluation de ses ressources et d’être trop optimiste sur leur caractère distinctif : s’appuyer sur ce que l’on a et qui n’intéresse personne ne permet pas d’aller bien loin.
Trois questions à vous poser
En conclusion, je vous propose 3 questions pour tracer votre voie :
- quels sont les éléments stables dans le comportement et attentes de vos clients ? Une fois identifiés, vous pouvez vous interroger sur les actions à mettre en place pour les satisfaire encore mieux (et mieux que vos concurrents).
- de quels actifs ou ressources distinctifs disposez-vous ? Si vous n’en trouvez pas (et c’est bien possible), comment pourriez-vous augmenter le niveau de distinction de vos ressources et actifs ? Pour ceux que vous avez identifiés, comment pourriez-vous bénéficier d’un effet de levier supérieur ?
- quelles activités réalisez-vous mieux que les autres ? Soyez exigeant sur l’évaluation et bénéficiez de regards externes pour compléter le votre (celui de vos clients, de vos fournisseurs ou de vos partenaires). Interrogez-vous sur les opportunités de réaliser ces activités dans d’autres territoires.